




Quarante garçons de Berlin arrivent en juillet 1939 au château de Quincy-sous-Sénart, ouvert par le comte Hubert de Monbrison, président du comité pour les réfugiés politiques.
Arrivée au château
de Quincy-sous-Sénart (région parisienne)
Je me souviens avoir vécu constamment dans la peur, surtout après les victoires écrasantes des Allemands durant les trois premières années de guerre. J’avais peur pour mes parents et mon frère, qui se trouvaient en Pologne, et j’avais peur pour moi. Nous entendions parler des grandes rafles de Juifs à Paris, Lyon et dans d’autres grandes villes françaises, bientôt suivies par les rafles de Chabannes. Le gouvernement français se révélait de plus en plus soucieux d’appliquer les méthodes nazies.
Cette peur fut la hantise de ma jeunesse et me poursuivit encore pendant des années, même après mon immigration en Amérique. Au fur et à mesure des années de guerre, la faim devint, elle aussi, un problème sérieux. Le château avait de plus en plus de difficultés pour nous approvisionner.






Mes camarades de classe, fils et filles de paysans, avaient des joues roses et semblaient bien nourris, moi j’étais maigre et j’avais toujours faim.
Je me souviens également de la pénurie de vêtements chauds et de gants, ainsi que de l’état déplorable de mes chaussures. Durant l’hiver glacial de 1942-1943, je devais marcher presque quatre kilomètres à pied avec de vieux sabots usés pour me rendre jusqu’à l’école de Fursac. À chaque pas, les sabots me pinçaient douloureusement. Évidemment, le château n’était pas chauffé et nous n’avions que de l’eau froide. Cet hiver-là, j’ai eu des engelures aux pieds et à la main gauche.
Rien d’étonnant à ce que certains d’entre nous soient tombés malades, avec toutes ces privations. À l’été 1941, j’ai attrapé une mauvaise jaunisse, comme plusieurs autres de mes camarades. Le médecin du château, le docteur Meiseles, avait peu de moyens pour nous guérir, hormis d’attendre que le temps fasse son œuvre.
Après guerre, Norbert Bikales retrouve son frère Richard, libéré par l’Armée rouge en 1945
Norbert Bikales, étudiant, juste après son arrivée aux Etats-Unis
Norbert et sa femme
Le « cafard » ne figure pas en tête sur la liste de mes souffrances. Mes parents et mon frère me manquaient évidemment beaucoup et je pensais constamment à eux. Mais mes problèmes se jouaient au jour le jour, tandis que leur sort se décidait sur des champs de bataille lointains. Même à mon âge, je savais que je ne pourrais les retrouver qu’à la fin de la guerre, après la défaite des Allemands. Je suivais donc passionnément les dernières nouvelles. Je n’ai malheureusement jamais revu mes parents, assassinés par les nazis en mars 1942, à Belzec, pendant que je me trouvais à Chabannes.
C’est dans ce château que nos caractères, et même nos carrières, se sont construits. Quelques adultes admirables, pour certains à peine plus âgés que nous, faisaient de leur mieux pour nous offrir un semblant de vie normale dans ces conditions abominables, nous loger, nous nourrir et nous donner un exemple de courage et de volonté de survivre. En ce sens, notre éducatrice, Rachel Pludermacher, a raison lorsqu’elle affirme que nous vivions « un temps lumineux ».
En septembre 1943, je suis passé en Suisse grâce à l’intervention de Georges Loinger et à la fin de la guerre, j’ai eu le bonheur de retrouver mon frère, libéré par l’Armée Rouge en 1945.
Je suis immensément reconnaissant à l’OSE de m’avoir soutenu dans cette période critique de ma vie et de m’avoir permis de vivre une vie d’adulte si bien remplie. Je suis aussi immensément reconnaissant à l’Amérique, ce pays merveilleux qui m’a ouvert les bras et m’a permis, à moi et à ma famille, de vivre en paix et en liberté.
La famille Bikales aujourd’hui.