Je suis né le 24 août 1935 à Saint-Quentin, dans l’Aisne. Mon père, que je n’ai pas connu, était commerçant forain. Il est mort un an et demi après ma naissance. Quelques mois après le décès de mon père, ma mère s’est établie comme couturière à Paris.
Je n’avais pas encore 5 ans lorsque j’ai connu l’OSE. À la déclaration de guerre, ma mère m’a confié à l’OSE, qui m’a placé au château de Chaumont, l’une des premières maisons de l’OSE dans la Creuse. J’ai ensuite été transféré au château du Masgelier, également dans la Creuse, où je suis resté durant un an et demi. Trois ans durant, j’ai vécu insouciant, et même heureux dans les châteaux de la Creuse.
En 1942, mon prénom, Salomon, a été changé en Sali. J’ai également été rajeuni d’un an. J’ai ensuite quitté les maisons de l’OSE pour l’inconnu. Pris en charge par le réseau Garel, on m’a caché tout d’abord à Limoges, Toulouse, puis Lourdes, où je suis resté plus de sept mois.
À Lourdes, les lieux d’hébergement changèrent si souvent que je ne peux les dénombrer tous, je me souviens d’une institution religieuse, où j’ai dû apprendre quelques prières chrétiennes. J’allais régulièrement à la messe, chaque dimanche, dans la basilique de Lourdes et plusieurs fois par semaine, à la grotte de la Sainte Vierge, près du gave de Pau. Je m’y suis senti abandonné et vaguement en danger. Je me souviens encore d’un grand hôtel de la ville, réquisitionné pour accueillir des réfugiés, où il fallait également réciter des prières. Là encore, j’ai feint d’être un bon catholique. C’est là que j’ai assisté à une descente de soldats allemands dans le quartier. Je n’ai jamais eu aussi peur de toute ma vie.
Je ne suis jamais resté plus longtemps que quelques semaines dans chaque cache. On m’a transféré dans le centre ville, près de la maison de Bernadette Soubirous, une jeune bergère béatifiée. Je m’en souviens, parce qu’on m’y a rasé la tête à cause des poux. J’étais désœuvré, je n’allais pas à l’école, mes seules sorties consistaient en des promenades à la grotte… J’ai encore passé quelques jours dans un immense bâtiment, situé entre le jardin de la basilique et le gave de Pau, peut-être un hôpital ou un foyer de la ville, dans lequel étaient certainement cachés bon nombre d’enfants juifs. Petits et grands garçons y vivaient mélangés, nous jouions aux osselets toute la journée, avec des cailloux ramassés dans la cour.
Le 7 mars 1944, ma mère et son deuxième mari, Joseph Borowicz, que je n’ai pas connu, ont été déportés de Drancy par le convoi n°69 vers Auschwitz. Ils ne sont jamais revenus. À cette époque, j’ignore que je suis orphelin.
Début avril 1944, le circuit Garel me transfère à Pau, dans une maison inconnue, où une dame gentille s’est occupée de moi. Je suis malade et elle me soigne avec de l’élixir parégorique. J’ai longtemps éprouvé une vive reconnaissance pour le « Père Égorique » !
De Pau, je suis conduit dans le village de Mirepeix, dans le Béarn, où sont cachés d’autres enfants juifs. Je savais alors que j’étais juif et que tout le monde devait l’ignorer. J’étais placé chez de braves gens qui m’ont intégré dans leur famille, m’ont appris le patois béarnais, m’ont envoyé à l’école du village et m’ont invité au mariage de leur fille. J’ai le souvenir d’une vie calme et paisible à Mirepeix. A l’école, je fréquentais le groupe des grands, je savais lire et écrire, grâce à l’éducation dispensée dans les maisons de l’OSE. Je me souviens d’une scène d’abattage de cochon, assez traumatisante, mais qui ne m’a pas empêché de manger de la charcuterie par la suite…
Puis, un jour, en mars 1945, on m’a transféré dans une maison de l’OSE, la Chaumière, à Saint-Paul-en-Chablais, en Haute Savoie, où je suis resté 6 mois, jusqu’à la fin de la guerre. Nous avions une chèvre et faisions de grandes promenades vers Evian, nous riions et chantions sans retenue. J’ai adoré la vie à Saint-Paul-en-Chablais, qui ressemblait à des vacances.
En octobre, on m’a placé dans la maison de l’OSE, Les Glycines, à Mesnil-le-Roi, en région parisienne. Dernier havre de quiétude avant le rude retour dans ma famille. L’OSE s’était occupé de moi, m’avait protégé et aimé pendant 6 ans. Sans même que j’en eusse conscience, elle était devenue ma seule et vraie famille.
Les enfants arrivaient par vagues aux Glycines. Afin de pallier au manque de place, les garçons furent installés dans un bâtiment annexe. Je me souviens de sorties clandestines, de ma première cigarette de feuilles mortes, roulées dans une feuille de papier hygiénique beige. C’est la seule que j’ai jamais fumée!
En janvier 1946, l’OSE me rend à ma famille paternelle de Saint Quentin. Je vais vivre avec ma grand-mère, ma tante et mon oncle, que je ne connaissais pas, dans cette ville du nord, où je suis né dix ans auparavant. J’ai été très malheureux avec eux. Je n’ai pas osé leur dire que je préférais vivre à l’OSE. Les liens ne se sont jamais noués avec ma famille paternelle, la greffe n’a pas pris, à l’exception de ma tante Rachel, que j’ai profondément aimée.
J’ai obtenu mon certificat d’études primaires, puis mon CAP de tourneur et je suis entré comme ajusteur dans l’entreprise Sitel, à Saint-Quentin. Après neuf ans d’études suivies parallèlement à mon travail, j’obtins un statut équivalent à celui d’ingénieur de production. J’ai alors occupé la fonction de cadre de production dans l’industrie automobile.
Je me suis marié le 14 octobre 1963. Ma femme et moi avons trois enfants et cinq petits-enfants. J’ai pris ma retraite en 1995 et je vis depuis non loin de Lyon, où je me consacre au jardinage, au bricolage, à la lecture, à l’histoire… et à ma grande famille !
Le Midi toulousain, pays insoumis
Beaucoup de Juifs étrangers se sont réfugiés dans le Midi Toulousain, où, malgré la proximité des camps de Gurs et de Noé, une longue chaîne de solidarité permit de sauver des milliers de familles : faux-papiers, filières d’évasion en direction de l’Espagne, l’activité résistante passe aussi par les réseaux socialistes ou protestants.
Le centre médico-social de l’OSE à Toulouse fonctionne jusqu’à l’arrestation du Dr Jules Hofstein et de son assistante Eve Cahen, en novembre 1944.
Un sauveteur : Georges Garel, fondateur du circuit clandestin
Georges Garel est né à Vilna, le 1er mars 1909, fils de Moïse Garfinkel et de Rebecca Birnbaum. Il fait ses études au lycée de Kiev, en Ukraine, au moment de la révolution russe. Inquiété par le nouveau régime, le père emmène la famille à Berlin, puis à Paris, à cause de la crise économique qui lui fait perdre son emploi. Georges fait ses études en allemand à la Goethe Schule, puis en français, au lycée Saint Louis, où il passe deux baccalauréats, l’un littéraire, l’autre scientifique. Il réussit le concours de l’Ecole Polytechnique de Zürich, dont il reçut en 1932 le diplôme d’ingénieur électricien.
De retour à Paris, il est engagé par la compagnie Electro-Mécanique où il fera toute sa carrière. Naturalisé français, il est mobilisé dans le Dauphiné, puis retourne travailler à Lyon. Il s’engage en 1942 dans le réseau Combat, avec son grand ami de Zürich, Claude Bourdet. Ses premiers contacts avec le monde juif ont lieu à Vénissieux où il participe, avec Charles Lederman, à la commission de criblage qui permit de sauver 108 enfants de la déportation. Joseph Weill lui demande alors de constituer un réseau clandestin d’enfants, plus connu sous le nom de réseau Garel, auquel il se consacre jusqu’à la Libération. En 1943, il épouse Lily Tager, à Lyon, avec laquelle il eut 7 enfants.
Nommé directeur-général de l’OSE-France de 1944 à 1948, il reprend son poste d’ingénieur à la Compagnie Electro-Mécanique, d’abord à Metz, puis à Paris
Membre du Conseil d’administration de l’OSE, il en est le président de 1951 à 1978. Il meurt brutalement en janvier 1979.