Marcel Goldberg: “Nous allions à l’église, je me plongeais même dans le catéchisme”





Au début de l’année 1945, je quittais la famille où j’avais été caché avec ma sœur ainée, Jacqueline, à Saint-Rambert-en-Bugey, dans l’Ain, durant les derniers mois de l’occupation pour rejoindre la maison d’enfants de l’OSE, La Chaumière, à Saint-Paul-en-Chablais en Haute-Savoie.

J’allais me trouver pour la première fois dans une maison de l’OSE mais mon premier contact avec cette organisation datait du printemps 1942. À cette époque, j’habitais avec mon père et ma sœur aînée à Paris dans le quatrième arrondissement. Ce contact fut établi grâce à une assistante sociale attachée à un dispensaire à l’époque géré par l’UGIF, où nous étions suivis médicalement. Il s’agissait de Madame Averbouh, qui plusieurs fois, durant l’occupation allait s’occuper de nous.

Auparavant, nous habitions Trouville, mes parents s’étaient établis dans la région au début des années 30, après la naissance de ma sœur Jacqueline. Ils venaient tous deux de Pologne, mais ils s’étaient connus et s’étaient mariés en France.

lls exerçaient la profession de marchand forain en bonnetterie dans les marchés de la ville et des environs. Ma sœur aînée était née en 1931, moi en 1934 et mes parents ont eu un troisième enfant en octobre 1939, une fille nommée Léa.

Mes parents avaient la nationalité polonaise et mon père a été mobilisé lors de l’invasion allemande pour rejoindre l’armée polonaise en France. À ce moment, à l’approche de l’armée allemande, nous avons avec ma mère quitté à pied Trouville avec une foule de gens, dans un exode qui ne nous a pas menés très loin. Bientôt, nous sommes revenus à notre point de départ.





Après quelques semaines, mon père, lui aussi put revenir. Mon père a cherché à s’installer à Paris, mais comme il ne trouvait pas de logement, ma mère a préféré rester à Trouville avec ma petite sœur. Ma sœur ainée a rejoint mon père, qui avait finalement trouvé un petit logement, rue des Ecouves. Je l’ai suivie plus tard, en avril. J’allais à l’école rue des Hospitalières, Saint-Gervais. J’ai donc connu Monsieur Migneret, l’instituteur qui est devenu Juste parmi les nations.



Jacqueline et moi, marqués par l’infâme étoile en 1942, avec Madame Moreau.


Peu de temps après ce départ, ma mère et ma petite sœur ont été arrêtées et conduites dans le camp de Lamotte-Beuvron dans le département du Loir et Cher. A cette époque, il y avait encore une possibilité de correspondance avec les internés et mon père gardait donc un contact et pouvait envoyer des colis à ma mère. A la fin de l’année scolaire, mon père nous a envoyés, par l’intermédiaire de l’assistante du dispensaire dans une colonie de vacances. Nous devions donc passer le mois de juillet à la pension Zisman à La Varenne Saint-Hilaire.

Notre père est venu nous voir les premiers dimanches du mois, puis il a été arrêté après le 16 juillet 1942, envoyé à Drancy et déporté à Auschwitz-Birkenau.

A la fin du mois, nous avons été conduits à l’Orphelinat Rothschild, de la rue Lambardie, où nous sommes restés jusqu’à sa dissolution en février 1943, après la grande rafle parisienne, décidée par Brunner. Je me souviendrai toujours de ce 10 février : des inspecteurs sont venus au petit matin, discrètement, réveiller 14 garçons dans leur dortoir et les emmener en hâte.

L’un des enfants, Bertold, était dans mon dortoir. Le 11 février à une heure du matin, ils sont venus chercher quatre jeunes filles. Tout le monde était paniqué. Je n’étais pas sur la liste, ni Jacqueline qui était à l’infirmerie avec les oreillons.

Je me retrouvais au centre de l’UGIF, Lamarck où je n’y suis resté que trois mois, tandis que ma sœur était envoyée au centre Guy Patin. C’est la première fois que nous étions vraiment séparés. Je ne la retrouverais qu’en 1944.

En avril, un homme, Nicolas Matorine de l’OSE est venu me chercher pour me placer dans une famille de Viarmes, dans la banlieue Nord, qui cachait déjà des enfants juifs dont Popeck.

J’y suis resté jusqu’en octobre. Grâce à Madame Averbouh j’ai pu rejoindre ma sœur qui avait été placée chez un couple à Villecresnes. Je ne suis pas allé à l’école dans les deux endroits où j’ai été caché, par mesure de sécurité.

Au mois de juin 1944, sans doute, par l’intermédiaire de l’assistance sociale de l’OSE, nous avons été envoyés à Lyon, dans le but de passer en Suisse.

Nous étions une vingtaine d’enfants juifs dans l’attente d’un passage.

Après une semaine environ, on nous a dit qu’un convoi d’enfants vers la Suisse avait été arrêté et il a fallu renoncer à s’y rendre. Très rapidement, nous avons été conduits par une dame, j’ai su plus tard qu’il s’agissait de Margot Cohn, une assistante du réseau Garel, à Saint Rambert en Bugey chez un couple qui avait trois filles.



Novembre 1944, Saint-Rambert-en-Bugey.


C’était le temps des vacances scolaires et nous sommes partis avec elles chez leur grand-mère dans un hameau voisin où nous sommes restés jusqu’à la rentrée des classes.

La grand-mère ne savait pas que nous étions juifs, sa fille avait préféré ne pas lui dire. À Lyon, on nous avait fourni de fausses cartes d’alimentation, nos noms avaient été changés en celui des gens de chez nous étions précédemment. On nous prenait donc pour de petits Chrétiens et nous allions à l’église avec les enfants de la famille. Là, j’allais à l’école et je participais à la vie du village. Mais, le danger était toujours présent, et la région truffée de miliciens et de résistants.

J’ai été témoin auditif, alors que nous étions en classe, d’une sévère fusillade qui coûta la vie au maire de Saint-Rambert ainsi qu’à une quinzaine de personnes. Nous y sommes restés jusqu’en janvier 1945.






Après la maison de La Chaumière, retour à Paris où j’ai retrouvé ma mère. Elle habitait une petite chambre. J’ai obtenu par l’intermédiaire de Margot Cohn, la possibilité de faire des études au lycée Maïmonide. J’ai fait toute ma carrière au CNRS dans un laboratoire de physique nucléaire. Je me suis mariée en 1968 et nous avons eu deux beaux enfants, une fille et un garçon.


Comité OSE de zone nord



Hélène Matorine était la secrétaire particulière d’Eugène Minkowski. Elle reste à son poste, malgré un séjour à Drancy et des démêlés avec la police. Nicolas Matorine, son mari, non Juif, convoyait des enfants dans la zone occupée dont les enfants Goldberg.

Eugène Minkowski présidant le repas du seder de Pâque pour les enfants du patronage. On reconnaît au centre Énéa Averbouh, directrice pédagogique.

Il fonctionne, au vu et au su de la Gestapo, avec une petite équipe autour du professeur Eugène Minkowski et d’Hélène Matorine . Il s’agit de porter assistance à la population juive parisienne : soins médicaux, distribution de vêtements, aide juridique.

A partir de septembre 1941, il étend son activité au placement individuel des enfants dans des familles non juives en utilisant le même réseau de relations que le Comité de la rue Amelot. L’OSE travaille également avec les Eclaireurs israélites, la WIZO, et la Fondation Rothschild.

Le dispensaire de la rue des Francs-Bourgeois mis à la disposition de l’OSE par l’association « Pour nos enfants » sert de façade légale, tout en essayant de sauver les personnes en détresse. Les docteurs Saly Goldberg, Golstein, Becker, Goldman, Pincharovki et Zenatti interviennent quotidiennement, tandis que Enéa Averbouh, assistante sociale, s’occupe des faux papiers.



Un sauveteur : le Dr Eugène Minkowski, responsable OSE de la zone nord

Eugène Minkowski, « Un membre d’honneur de l’humanité », selon le mot de son ami Abraham Alpérine.

« Un membre d’honneur de l’humanité », selon le mot de son ami Abraham Alpérine.

Fils d’un banquier de Varsovie, il poursuit ses études de médecine à Munich, où il passe son doctorat en 1909. En 1915, sans que rien ne l’y oblige, il décide de partir en France comme engagé volontaire et se retrouve médecin auxiliaire dans le 151e régiment d’infanterie. Dès 1933, il rejoint l’OSE.

Avec le docteur Polinow, il aide à la mise en place d’un patronage pour enfants difficiles. Les débuts en France sont pénibles : démobilisé en 1920, Il entreprend de passer son diplôme français. Il fait de la psychiatrie à l’hôpital Henri Rousselle, à la Fondation Rothschild et travaille bénévolement au Foyer pour enfants difficiles de Soulins, près de Brunoy. Ces lieux serviront de relais pour cacher les enfants.

Au début de l’occupation, il refuse de quitter Paris. Il travaille à l’OSE et au comité de la rue Amelot. Dénoncé et arrêté à son domicile le 23 août 1943, il est sauvé grâce à l’intervention du Dr Michel Cenac, prévenu à temps par sa fille, Jeannine Minkowski. Après la guerre, la reconstruction : le Dr Eugène Minkowski reprend sa place comme président du comité exécutif de l’Union-OSE et ce, jusque dans les années soixante. Outre ses recherches en psychiatrie, il travaille auprès des victimes de la guerre et se penche sur la psychologie des déportés dans un ouvrage publié à Genève en 1947.

Il accueille les 426 enfants de Buchenwald à Écouis (Eure), arrivés en juin 1945. Ces garçons – dont les plus jeunes ont entre huit et dix ans – ont connu l’enfer des ghettos, les camps de travail forcé, les marches de la mort et pour certains Auschwitz-Birkenau. Elie Wiesel en fait partie.

L’Union générale des Israélites de France (UGIF), organe créé à la demande de l’occupant, regroupe toutes les organisations juives d’assistance. Plurielle dans le temps et dans l’espace, elle n’est pas structurée de la même manière
dans les deux zones.

Les rafles de février 1943 et juillet 1944 dans les maisons d’enfants de la région parisienne concernent 284 enfants dits « bloqués », c’est-à-dire sortis des camps d’internement. Mais 4 000 enfants ont été sauvés par les différents circuits d’assistance.