Paul Niedermann: “La guerre étant finie, je ne voulais être plus dépendant des œuvres juives”





Je suis né en novembre 1927, à Karlsruhe (Bade). Mon grand père et mon père étaient employés de la communauté juive qui comptait environ 3500 personnes. Mon père était responsable du cimetière. Grand blessé de la première guerre mondiale, il avait un œil en moins et ne pouvait plus exercer son métier de tailleur.





Nous étions des Juifs intégrés, de langue allemande. Je suis allé à l’école juive jusqu’à l’âge de cinq ans puis, en 1933 et 1934, à la Schillerschule. En 1935, le maître en uniforme SA m’a dit : « Niedermann debout ! Tu es juif, tu rentres chez toi ! » En novembre 1938, j’avais 11 ans. Depuis le salon, on voyait la synagogue brûler. Seuls les murs sont restés debout.





Mon père fut arrêté et envoyé à Dachau, comme tous les hommes entre 17 et 77 ans. Il y resta huit mois et en revint brisé, ayant juré, comme tous les autres, qu’il ne parlerait de rien. Nous n’avions plus aucune marge de manœuvre. Tous les comptes bancaires avaient été bloqués, il fallait remettre tous nos bijoux et objets précieux sous peine de mort. Nous vivions très mal, dans la plus grande pauvreté. J’allais à l’école juive. Le contact avec les Allemands était totalement rompu.

En 1940, le 22 octobre, tous les Juifs de Bade, du Palatinat et de la Sarre – 7600 personnes d’un coup – furent arrêtés et déportés au camp de Gurs. C’était épouvantable : malnutrition et épidémies, de la boue partout, des rats et de la vermine, des médecins, mais pas de médicaments.

A mon arrivée à Gurs, j’avais treize ans, j’ai donc fait ma bar-mitsva. J’ai commencé à apprendre le yiddish. En 1941, les plus âgés et les malades partent au camp de Noé, où mon grand père est mort. Les autres partent par train et camion pour le « camp familial » de Rivesaltes. Nous avons été de nouveau séparés, mais j’allais toujours rendre visite à ma mère.






C’est à Rivesaltes que nous avons rencontré l’OSE. Au printemps 42, mes parents ont été contactés par une « assistante volontaire », Vivette Samuel, qui parlait allemand. Elle a mis plusieurs semaines à les persuader de me confier à l’OSE. La décision fut dramatique à prendre. Finalement, un jour de mars ou avril 42, nous sommes partis avec six ou sept autres enfants. La seule chose que ma mère nous a fait apprendre par cœur était l’adresse de la famille en Amérique. C’était notre seul lien, l’espoir de se retrouver un jour là-bas.

Nous avons été conduits à Palavas-les-Flots. Il y avait là une petite maison qui s’appelait le Solarium Marin. Cette maison de l’OSE regroupait des enfants qui, comme nous, étaient sortis des camps. Je mesurais 1m60 et pesais 32 kg ! Mon grand souvenir est le premier repas du soir : il y avait un immense faitout de nouilles et une énorme louche. Je suis retourné dix fois au « rab », au point de m’en rendre malade. Aujourd’hui encore, je ne supporte pas d’avoir faim. C’est à Palavas que j’ai commencé à apprendre le français.



Paul et Arnold à Palavas-les-Flots (Hérault)




Donc, nous voilà seuls, sans parents : plus personne à qui demander quoi faire. Heureusement, nos monitrices Dora et Marcelle étaient très disponibles. Arnold, mon frère, fut évacué par l’OSE pour rejoindre la famille en Amérique. Il avait 11 ans lorsque nous avons été séparés. Moi, j’avais atteint la limite d’âge, je ne pouvais pas être scolarisé. Que faire de moi ? J’ai travaillé avec Miron Zlatin, dans la banlieue de Montpellier, nous vendions des poussins. Le week-end, je retournais à Palavas pour voir les copains de Rivesaltes.

En novembre 42, les Allemands arrivent. Nous partons avec Miron dans une maison de l’OSE, le Touring Hôtel. De là, je suis allé à Montpellier pour récupérer de faux papiers : j’étais devenu un alsacien de Gérardmer ! Des instructions m’attendaient pour que j’aille dans une autre maison, à Ussac. C’est dans cette maison pratiquante que j’ai appris un jour, au détour d’une phrase, que mes parents ne reviendraient pas. Ma mère a été déportée en 42 et mon père, plus tard, à Majdanek.







La « liquidation » d’Ussac fut très brutale. Me voilà de nouveau en route, je pars pour une ferme-école de l’ORT, dans le domaine de la Roche, à la Penne d’Agenais. Les Allemands et la milice pullulaient. Nous étions sans cesse morts de peur.

Finalement, nous quittons La Roche pour la maison d’Izieu. Je n’y reste pas longtemps. L’OSE cherche à me faire passer en Suisse par la filière de Douvaines, avec tout un groupe accompagné par une jeune fille, Rolande Birgy, convoyeuse de l’OSE. La sensation du premier réveil sans hantise fut indescriptible : énorme sentiment de « c’est fini » mêlé à la terrible tristesse d’avoir perdu les parents

Après plusieurs maisons, je me suis retrouvé au Home de la Forêt. Je suis allé à l’école ORT de Genève, puis à l’école d’horticulture La Châtelaine. La guerre finie, je ne voulais plus être dépendant, je voulais payer ma dette envers les œuvres juives. Je suis donc rentré en France pour former des moniteurs au Centre de Formation de Plessis-Trévise, entre 45 et 48. En 1948, on m’a dit : « Débrouille-toi » ! Ce que j’ai fait.

Je suis devenu rédacteur de la revue « Motocycle », avant de monter une entreprise de photographie à Bris-sur Marne, avec ma femme, ce qui m’a permis de nourrir ma famille pendant 35 ans.

Je n’ai repris contact avec l’OSE qu’en 1983, au moment du 80e anniversaire. Témoin au procès Barbie, j’ai pu raconter mon histoire dans ses moindres détails. Ce fut pour moi une véritable thérapie.


L’Hérault, un département accueillant




Après l’Exode, l’OSE choisit d’installer sa direction à Montpellier. En mars 1941, l’organisation choisit d’ouvrir un centre médicosocial indépendant pour les réfugiés de la région. A l’arrivée des Allemands en novembre 1942, l’OSE quitte Montpellier pour Vic-sur-Cère puis pour Chambéry.

L’Hérault fut un département accueillant grâce à l’action bénéfique d’une partie de son personnel préfectoral dont Jean Benedetti, préfet de région et ses deux adjoints Camille Ernst et Roger Fridrici. Ils distribuaient largement les certificats d’hébergement, premiers sésames pour sortir les enfants des camps, et eurent à coeur de prévenir les Juifs au moment de la rafle d’août 1942. Jean Benedetti fut arrêté et déporté à Flossenburg en mai 1944.



Une sauveteuse : Vivette Samuel, sortir les enfants des camps





Vivette Hermann est née à Paris en mai 1919. Nahum, son père, journaliste originaire d’Odessa et sioniste militant, deviendra directeur du Keren Hayessod, fonds national de reconstruction, avant d’être déporté à Auschwitz en janvier 1944.

En 1936, Vivette entreprend des études de philosophie à la Sorbonne, qu’elle poursuit à Toulouse après l’exode. En novembre 1941, elle devient « assistante résidente » de l’OSE au camp de Rivesaltes, en remplacement de Charles Lederman. 400 enfants sont libérés pendant les 7 mois de sa présence dans le camp. Elle est ensuite déléguée de l’OSE auprès de l’Amitié chrétienne pour visiter les groupements de travailleurs étrangers de Savoie et Haute-Savoie. Chargée de l’inspection sanitaire, elle cherche également à rassembler les enfants présents dans la région.

En octobre 1942, elle se marie avec Julien Samuel, alors directeur du centre OSE de Marseille. Quelques mois plus tard, juste avant la descente de la Gestapo à Marseille, au printemps 1943, les Samuel partent à Limoges pour ouvrir un bureau de l’OSE.

Les Samuel partent ensuite à Chambéry pour y monter une antenne clandestine et accélérer les passages vers la Suisse, avant de se réfugier près d’Aix-les-Bains.

Vivette consacre les premières années d’après-guerre à élever ses trois enfants Françoise, Jean-Pierre et Nicole. Après avoir obtenu son diplôme d’assistante-sociale, elle travaille tout d’abord dans une association privée d’anciennes déportées de la Résistance, avant d’être nommée, en 1954, assistante-chef du service de l’enfance, puis, en 1979, directrice du secteur Enfance. Elle termine sa carrière à l’OSE comme directrice générale, à la suite de Marc Schiffmann. Sous son impulsion, le service social de l’OSE devint un service pilote en matière de protection de l’enfance. Elle prend sa retraite en 1985.


Les assistantes volontaires au camp de Rivesaltes : Dora Werzberg et Vivette Samuel