“Mesdames, Messieurs
Merci de m’avoir invité à parler ici pour la commémoration de la rafle du Vel d’hiv.
Je ne vous étonnerais pas en vous disant que pour moi, longtemps le vélodrome d’hiver a été un lieu de plaisir magique. Adolescent fraichement arrivé en France, on y allait pour rigoler, assister à des matches de boxe, applaudir Ray shougar Robinson. Comme on n’avait pas le sou, on était au poulailler munis d’une bonne bouteille de Postillon.
Il y avait aussi les compétitions de ballon, volley, basket, les cris de joie, les invectives. Et que dire des réunions politiques, on venait au Vel d’hiv acclamer Léon Blum, Jacques Duclos , Maurice Thorez.
Rien, aucun indice, aucune trace de ce qui s’était passé le 16 juillet 1942 à Paris, je ne l’ai su que beaucoup plus tard.
Mais au même moment, j’étais un petit garçon de douze ans dans le ghetto de Lodz que sa maman cachait dans une valise pour échapper aux rafles des nazis.
Alors, je voudrais m’adresser aux jeunes et surtout aux jeunes qui se sentent en dehors de tout, seuls parmi les autres, comme j’ai pu l’être moi aussi.
Je m’appelle Léon Lewkowicz, je suis né en juin 1930 à Lodz, en Pologne.
Je suis arrivé en France en juin 1945 avec le groupe des 426 jeunes de Buchenwald. Nous étions des étrangers, jeunes déportés ayant connu l’enfer et la France nous a accueillis, je la remercie du fond du cœur. Je suis fier d’être Français.
Et tout compte fait, elle n’a pas à regretter de nous avoir fait confiance. Mes compagnons s’appelaient Elie Wiesel, Meir Lau, futur grand rabbin d’Israël et plus près de nous Elie Buzyn, qui nous a quittés l’année dernière.
Je me suis reconstruis dans les maisons de l’OSE, souvent de magnifiques châteaux comme celui de Ferrières-en-Brie, où il y avait encore des mines qui nous servait de feux d’artifice, ou de simples maisons, Le Vésinet et surtout Champigny, la maison où je me suis ouvert à la vie, car on allait chez les filles de Saint-Germain.
Evidemment les cauchemars étaient toujours là, et je tenais tête à tout le monde y compris les éducateurs en me servant d’abord de mes poings.
Je me souviens avoir lutté avec notre directeur, que l’on appelait familièrement le père Both, au sujet de mon orientation. Il voulait que j’aille dans un atelier de mécanique et moi je ne voulais pas et pour montrer mon désaccord, je me suis badigeonné d’huile de moteur des pieds à la tête y compris dans les chaussures, au grand dam de la lingère qui dut me décrasser dans la baignoire.
Je savais ce que je ne voulais pas, mais j’ai compris qu’il fallait que je trouve ce que je voulais et que je sois le meilleur, ce que j’ai fait en sertissage joaillerie, mais croyez moi j’ai bossé, nuit et jour et je suis devenu meilleur ouvrier de France.
Surtout qu’à partir de 1948 nous avons été émancipé à l’âge de 18 ans, de nouveau seuls au monde. Je me suis souvenu d’un dicton de ma mère, « Bénies soient les mains qui se font elles-mêmes. »
Heureusement, j’aimais le sport. Grâce à notre moniteur de l’OSE, Maurice Brauch, j’ai découvert les figures de gymnastique pour séduire les filles en colonie de vacances à Saint-Quay-Portrieux et puis le plaisir des sports de groupe, les matchs intermaisons.
Je voulais être fort, je m’entraînais aux anneaux à la piscine Deligny, sur les quais de la Seine. Puis j’ai rencontré un mec balèze et j’ai voulu être comme lui, moi qui pesais 30 kg en sortant de Birkenau.
J’ai fini par avoir l’adresse d’une salle de culture physique et là j’ai d’abord regarder faire les autres et j’ai appris. Toujours la même technique depuis le ghetto : comprendre, observer par soi-même.
Puis j’ai rencontré un célèbre culturiste, Robert Duranton qui m’a donné des conseils et je me suis fait un programme alternant culture physique et Haltérophilie.
Je m’entraînais tous les soirs après le travail de 18 à 20h, puis je filais prendre des cours du soir jusqu’à 22h à l’école communale de la rue Lamarck pour apprendre le français et avoir des rudiments de mathématiques.
A ce moment là je m’entrainais à la salle montmartroise dans le 18e et grâce à un entraineur j’ai été sélectionné en 1955 pour les championnats de France et j’ai gagné le titre de champion de France dans la catégorie poids moyen. Je n’ai pas pu aller aux jeux olympiques car je n’étais pas français.
Mais j’ai aussi gagné le surnom de « frappe qu’une fois » car j’ai envoyé à l’hôpital quelqu’un qui m’avait traité de youpin.
Hier j’ai eu l’honneur de porter la flamme olympique, devinez où ? Du métro Bir Hakeim à la rue Nelaton et j’ai pensé aux 4000 enfants déportés de la rafle du Vel d’hiv partis seuls pour un voyage sans retour au bout de l’enfer. Je connais l’endroit, je sais ce qu’ils sont devenus et ces images ne doivent pas s’estomper.
Belle revanche, moi le petit gamin du ghetto de Lodz -, destiné à la chambre à gaz de Birkenau et sauvé par la seule révolte des Sonderkommandos, le 7 octobre 1944, le 7 octobre une date qui résonne et qui nous oblige à rester vigilants et forts. Ne plus jamais baisser la tête et apprendre à se défendre.
Chacune de leur histoire ne saurait être oubliée et doit nous guider.
Je vous remercie.”