Hommage de l’OSE à Simone Veil
Simone Veil était aussi une grande dame de l’OSE. Membre d’honneur du Conseil d’Administration, son souvenir reste vif.
« L’histoire de l’OSE, c’est celle des enfants juifs, certains encore au berceau, qui ont été victimes d’une traque implacable. Arrachés des foyers où ils avaient trouvé refuge, poussés dans ces lugubres trains de la mort, ils ont connu la pire des angoisses et des détresses avant de subir leur destin final.
Ce destin fut souvent partagé par les médecins, les monitrices, les employés de l’OSE qui ont choisi de rester avec les enfants et de mourir avec eux.
Mais l’histoire de l’OSE, c’est aussi celle d’une lutte incessante, lucide et courageuse pour sauver les enfants juifs. Notre reconnaissance va vers les femmes et les hommes qui, souvent au péril de leur vie, se sont élevés contre les bourreaux pour leur arracher leurs victimes. Et nous ne devons pas oublier que, parmi ex, figurent aussi beaucoup de Français non juifs, dont le courage et la générosité ont permis à tant d’enfants d’échapper au génocide.
Nombre de rescapés de l’extermination n’ont pas revu leurs parents. Sortis de ce cauchemar, ils ont dû réapprendre à vivre. Aujourd’hui par ce qu’ils sont devenus, ils témoignent de la prééminence du bien sur le mal. »
Décembre 1983
Simone Veil, Ancien Ministre, Ancien Président du Parlement Européen
La photo ci-dessous a été prise à l’occasion de la célébration des 80 ans d’Elie Wiesel à Paris, à la Sorbonne : les 12 et 13 novembre 2008, l’OSE et l’institut Universitaire d’Etudes Juives Elie-Wiesel avaient organisé en son honneur le colloque « Lire, étudier après la catastrophe » à la Sorbonne.
En 1993, Simone Veil fêtait les 80 ans de l’OSE
Retrouver ici le colloque « Mémoire & Avenir » de Simone Veil à l’occasion du 80ème anniversaire de l’OSE le 5 décembre 1993.
Mémorable, cet anniversaire avait réuni quelques 1500 personnes et la plupart des anciens enfants rescapés de Buchenwald.
Mai 2000, Simone Veil signait la préface de l’ouvrage Les lendemains
PREFACE De Madame Simone VEIL (mai 2000)
Mai 1945. La guerre est finie, du moins en Europe. Pour autant, la tâche de l’OSE est loin d’être terminée. Il ne suffit pas d’avoir sauvé les enfants, elle veut encore leur donner la force et la joie de vivre.
Certes, avec la libération du territoire français, une page avait été tournée : celle du combat devenu de plus en plus périlleux qui avait contraint les responsables de l’OSE à œuvrer dans la clandestinité.
Au cours des derniers mois de l’occupation, le rythme des arrestations n’avait cessé de s’accélérer, la Gestapo cherchant à gagner de vitesse la progression des forces alliées. Enfants, malades, vieillards, que l’on pensait à l’abri dans des institutions, sont regroupés à Drancy pour être déportés aussi longtemps que les trains peuvent encore quitter la région parisienne. Nombre de responsables de l’OSE sont arrêtés, torturés, déportés ou même exécutés. Certains d’entre eux accompagneront les enfants jusqu’au bout dans leur tragique destin.
À la Libération, sortie de la clandestinité, l’OSE se réorganise aussitôt pour faire face aux nouveaux besoins des enfants et des parents.
En premier lieu, il faut les aider à se retrouver et regrouper, ce qui n’est pas toujours facile. Beaucoup n’ont ni logement ni moyens d’existence. Quant aux enfants dont les parents ont été déportés, jusque là placés dans des familles ou dans des institutions, pour la plupart catholiques ou protestantes, l’OSE se préoccupe de les accueillir dans ses propres maisons.
Partagée entre l’espoir que la fin de la guerre ne tardera pas et l’angoisse sur le sort des déportés, l’OSE, faisant preuve d’une grande prudence, ne prend aucune mesure qui pourrait peser sur l’avenir des enfants qui lui sont confiés.
Deux mille d’entre eux ne reverront pas leurs parents, parmi lesquels beaucoup resteront sous sa responsabilité.
Ceux qui sont d’origine étrangère, et ils sont nombreux, n’ont souvent connu qu’une vie marquée par les persécutions nazies : l’exil, les camps d’internement, la séparation d’avec leurs parents, la clandestinité, des placements plus ou moins stables et plus ou moins satisfaisants. Certains d’entre eux n’ont plus aucun souvenir de leur passé familial, ils découvrent leur histoire avec leur véritable identité. À côté de ceux qui retrouvent ainsi une famille, il y a tous ceux pour lesquels les noms n’auront jamais de visage.
À tous, l’OSE s’efforce de procurer la vie la plus normale possible, en dépit du traumatisme des années écoulées et des incertitudes pour l’avenir. Quels que soient leur origine, leur âge, leur situation de famille, le poids du cassé est si lourd que ces jeunes ont besoin d’être sécurisés par une atmosphère chaleureuse qui les met en confiance et leur permet d’acquérir les règles de vie et l’éducation dont ils ont été privés.
Alors qu’elle est déjà confrontée aux problèmes posés par la diversité de situation entre des jeunes dont les uns réagissent par la violence tandis que d’autres se réfugient dans le silence et une certaine apathie, l’OSE se voit confier plus d’une centaine d’enfants qui viennent d’être libérés du camp de Buchenwald et que le Gouvernement français a proposé d’accueillir.
Polonais ou Hongrois pour la plupart, ces enfants qui ont échappé par miracle à la chambre à gaz ont tous vécu des moments particulièrement dramatiques. De tous les membres de leur famille, dont certains ont parfois été assassinés sous leurs yeux, ils sont généralement les seuls survivants.
Ils restent profondément marqués par les souffrances et la violence de la vie concentrationnaire.
Ces jeunes n’ont pas choisi de venir en France — ils ne parlent pas le français et ne savent généralement rien de notre pays ni de l’OSE. L’accueil de la France leur permet cependant de ne pas être séparés les uns des autres et d’éviter d’attendre dans un camp de personnes déplacées un hypothétique visa pour aller en Palestine ou aux États-Unis. C’est alors le rêve de beaucoup d’entre eux. II deviendra ultérieurement réalité pour ceux qui ont persisté dans ce choix.
Pour les responsables de l’OSE, la situation était totalement inédite. Il ne s’agissait pas seulement d’héberger, de nourrir et d’éduquer ces enfants. II fallait surtout leur apprendre à vivre avec leur passé, en leur préparant un avenir : les aider à retrouver des racines, à construire un projet de vie, à se supporter les uns les autres et à vivre ensemble en dépit des différences, des tensions et des rapports de force. Pour cela, ils devaient pouvoir s’exprimer librement avec leurs angoisses et leur révolte, afin d’exorciser les sentiments d’humiliation et de haine, voire de vengeance qu’ils ressentaient.
À la méfiance vis-à-vis des adultes, à la tentation de la violence engendrée par la volonté de survivre, à la négation des valeurs, il fallait opposer le sens de l’humain et de la solidarité. Face à la désespérance, il fallait faire renaître l’espoir et le goût de la vie. Le malheur partagé, leur expérience vécue en commun et les liens d’amitié noués entre eux constituaient une base solide pour cet apprentissage d’une nouvelle vie.
La création du journal « Lendemains » leur a apporté cet espace de liberté qui leur a permis de tout affronter.
Au cours des années 1946 et 1947, les quatorze numéros qui ont été entièrement réalisés par des jeunes de l’OSE ont circulé d’une maison à l’autre. Véritable journal de bord, ces numéros successifs traduisent l’évolution de l’état d’esprit des intéressés.
Dans les premiers numéros, on note avant tout leur solitude, leurs difficultés à s’intégrer, leurs dissensions. Le temps qui passe les rapproche. Leur intérêt pour les gens et les choses s’éveille. Le goût de vivre revient ainsi que leur capacité à se projeter dans l’avenir.
Jouant le rôle de médiateur, « Lendemains » ouvre des débats, permet à chacun d’argumenter à propos du judaïsme, d’un éventuel départ pour la Palestine, de l’avenir qui les attend, etc.
Grâce à cette confrontation d’idées, les esprits mûrissent, favorisant la compréhension entre des adolescents unis par leur passé, mais dont chacun a désormais besoin de s’affranchir pour affirmer sa personnalité et choisir son destin.
Cinquante ans après, la lecture de « Lendemains » suscite une profonde émotion qui, outre les souvenirs douloureux qu’elle évoque, est l’occasion de rendre hommage à l’action admirable de l’OSE qui, de ces jeunes sortis de l’univers concentrationnaire, a su faire des hommes.
On ne peut donc que se réjouir de la réédition de ces journaux dont il ne subsiste que quelques exemplaires, témoignages du courage et d’une volonté de survivre, symboles de la victoire sur les nazis et la Solution Finale.
Madame Simone VEIL
Ancien Ministre d’État
Ancien Président du Parlement Européen
« Je voudrais tout d’abord vous faire partager une conviction de femme »
A la tribune de l’Assemblée nationale, Simone VEIL, ministre de la santé, présente son projet de réforme de la législation sur l’avortement.
Elle déclare : “L’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue. Mais comment le tolérer sans que la société paraisse l’encourager ?
Je voudrais vous faire partager une conviction de femme. Je m’excuse de le faire devant cette assemblée presque exclusivement composée d’hommes. Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. C’est toujours un drame, cela restera toujours un drame.
C’est pourquoi si le projet tient compte de la situation de fait existante, s’il admet la possibilité d’une interruption de grossesse, c’est pour la contrôler, et autant que possible en dissuader la femme”. Elle évoque ensuite la situation des femmes qui se trouvent en situation de détresse, que la loi rejette “dans l’opprobre, la honte et la solitude”, et s’interroge :
“Parmi ceux qui combattent aujourd’hui une éventuelle modification de la loi répressive, combien sont-ils ceux qui se sont préoccupés d’aider ces femmes dans leur détresse, combien sont-ils ceux qui, au delà de ce qu’ils jugent comme une faute, ont su manifester aux jeunes mères célibataires la compréhension et l’appui moral dont elles avaient un si grand besoin ?”
Voir la vidéo :
http://www.ina.fr/video/I07169806
L’Europe, l’autre combat de sa vie
« Dès que je suis rentrée de déportation, j’ai pensé que (…) il fallait absolument faire l’Europe » : l’Europe, l’autre grand combat de sa vie
Décédée vendredi 30 juin à l’âge de 89 ans, Simone Veil a été toute sa vie durant le fer de lance du projet européen.
17 juillet 1979. Simone Veil devient la première femme à présider le Parlement européen. L’Europe, c’est l’autre grand combat de sa vie. Une bataille qu’elle a nourrie dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. “Dès que je suis rentrée de déportation, très vite, j’ai pensé que la seule solution si on voulait éviter ça à nos enfants et à nos petits-enfants, il fallait absolument faire l’Europe”, déclarait-elle.
Lire l’article du Monde
« Nous vous aimons, Madame » par Jean d’Ormesson
Jean d’Ormesson a accueilli Simone Veil sous la Coupole en 2010. Extraits de son discours de réception.
« C’est une joie, Madame, et un honneur de vous accueillir dans cette vieille maison où vous allez occuper le treizième fauteuil qui fut celui de Racine.
De Racine, Madame ! De Racine ! […]
Je ne voudrais pas que le vertige vous prît, ni que la tâche vous parût trop lourde. Vous succédez à Racine, c’est une affaire entendue. Vous succédez aussi à Méziriac, à Valincour, à La Faye, à l’abbé de Voisenon, à Dureau de La Malle, à Picard, à Arnault, tous titulaires passagers de votre treizième fauteuil et qui n’ont pas laissé un nom éclatant dans l’histoire de la pensée et des lettres françaises. Ils constituent ce que Jules Renard, dans son irrésistible Journal, appelle “le commun des immortels”. »
Et de poursuivre en citant Paul Valéry : « “L’Académie est composée des plus habiles des hommes sans talent et des plus naïfs des hommes de talent.” […]
Ce n’est ni pour votre naïveté ni pour votre habileté que nous vous avons élue. C’est pour bien d’autres raisons. Ne croyez pas trop vite que vous êtes tombée dans un piège. […] De toutes les figures de notre époque, vous êtes l’une de celles que préfèrent les Français. Les seuls sentiments que vous pouvez inspirer et à eux et à nous sont l’admiration et l’affection.
De toutes les figures de notre époque, vous êtes l’une de celles que préfèrent les Français. »
Jean d’Ormesson déroule alors cette vie trépidante qui « commence comme un conte de fées » à Nice, puis l’arrestation, Drancy, Auschwitz. « Vous entrez en enfer. Vous avez seize ans, de longs cheveux noirs, des yeux verts et vous êtes belle. […]
En m’adressant à vous, Madame, en cette circonstance un peu solennelle, je pense avec émotion à tous ceux et à toutes celles qui ont connu l’horreur des camps de concentration et d’extermination. Leur souvenir à tous entre ici avec vous. […]
À plusieurs reprises, dans des bouches modestes ou dans des bouches augustes, j’ai entendu parler de votre caractère. C’était toujours dit avec respect, avec affection, mais avec une certaine conviction : il paraît, Madame, que vous avez un caractère difficile. Difficile ! Je pense bien. On ne sort pas de la Shoah avec le sourire aux lèvres. […] Permettez-moi de vous le dire avec simplicité : pour quelqu’un qui a traversé vivante le feu de l’enfer et qui a été bien obligée de perdre beaucoup de ses illusions, vous me paraissez très peu cynique, très tendre et même enjouée et très gaie. »
Un mot aussi pour ses enfants, qui sont là, bien sûr, et pour son mari : « Quelqu’un qui, comme Antoine, aime autant la musique et Chateaubriand ne peut pas être tout à fait mauvais. […]
Je m’interroge sur les sentiments que vous portent les Français. Vous avez été abreuvée d’insultes par une minorité, et une large majorité voue une sorte de culte à l’icône que vous êtes devenue.
La première réponse à la question posée par une popularité si constante et si exceptionnelle est liée à votre attitude face au malheur. Vous avez dominé ce malheur avec une fermeté d’âme exemplaire. Ce que vous êtes d’abord, c’est courageuse – et les Français aiment le courage. […]
Avec une rigueur à toute épreuve, vous êtes, en vérité, une éternelle rebelle. Vous êtes féministe, vous défendez la cause des femmes avec une fermeté implacable, mais vous n’adhérez pas aux thèses de celles qui, à l’image de Simone de Beauvoir, nient les différences entre les sexes. Vous êtes du côté des plus faibles, mais vous refusez toute victimisation. Quand on vous propose la Légion d’honneur au titre d’ancienne déportée, vous déclarez avec calme et avec beaucoup d’audace qu’il ne suffit pas d’avoir été malheureuse dans un camp pour mériter d’être décorée.
La clé de votre popularité, il faut peut-être la chercher, en fin de compte, dans votre capacité à emporter l’adhésion des Français. Cette adhésion ne repose pas pour vous sur je ne sais quel consensus médiocre et boiteux entre les innombrables opinions qui ne cessent de diviser notre vieux pays. Elle repose sur des principes que vous affirmez, envers et contre tous, sans jamais hausser le ton, et qui finissent par convaincre. Disons-le sans affectation : au cœur de la vie politique, vous offrez une image républicaine et morale. […]
Beaucoup, en France et au-delà, voudraient vous avoir, selon leur âge, pour confidente, pour amie, pour mère, peut-être pour femme de leur vie. Ces rêves d’enfant, les membres de notre Compagnie les partagent à leur tour. Aussi ont-ils choisi de vous prendre à jamais comme consœur. Je baisse la voix, on pourrait nous entendre : comme l’immense majorité des Français, nous vous aimons, Madame. Soyez la bienvenue au fauteuil de Racine qui parlait si bien de l’amour. »