Elie Wiesel a marqué nos vies de par son inlassable action pour défendre les droits de l’homme de par le monde
“Ceux qui ne connaissent pas l’histoire s’exposent à ce qu’elle recommence”, disait Elie Wiesel, rescapé des camps d’Auschwitz et de Buchenwald. Ce fut l’engagement d’une vie, de toute sa vie, qu’il a passée à arpenter le monde pour mettre des mots sur l’innommable, l’indescriptible, l’indicible vie des camps où ont péri ses parents et sa sœur, et avec eux six millions d’âmes.
Dans La Nuit, il a témoigné avec des mots si forts et si touchants de la cruauté des camps, la faim, le froid, la torture, mais aussi l’obstination à ne pas perdre sa dignité d’homme et la culpabilité de n’avoir su ou pu accompagner son père au crépuscule de sa vie. Il y raconte cette nuit qu’il n’oubliera jamais, le silence et les volutes de fumée, l’obscurité qui recouvre le monde car elle a déjà recouvert le cœur des hommes. Il en tire une obligation de vigilance, un devoir, non pas seulement de mémoire, mais d’attention aux signaux faibles du monde, comme un écho au verset du Prophète Isaïe: “Veilleur, où en est la nuit? Veilleur, où donc en est la nuit?” (XXI, 11).
Parce que la peur ne l’a jamais quitté, qu’un jour, le monde oublie ou ne banalise la Shoah, Elie Wiesel a dédié sa vie à l’éducation des jeunes générations, à la transmission de ses souvenirs et de ses plus grandes craintes, pour que plus jamais personne ne vive l’enfer de son adolescence, et peut être pire encore, afin que personne ne sombre dans l’indifférence envers celui qui est nié, où que ce soit, dans sa dignité humaine.
Elie Wiesel, qui étudiait le Talmud, avait écrit en 1982 dans Paroles d’étranger: “Dieu se veut à l’origine de tous nos actes et à leur dénouement aussi. Il est à la fois question et réponse”. Aussi ne puis-je m’empêcher de citer un passage talmudique qui nous enseigne qu’un juge ne doit pas être trop vieux, car il ne doit pas oublier la difficulté d’élever des enfants. Elie Wiesel avait cette capacité incroyable d’écouter et de jauger le monde, ses bienfaits comme ses travers, sans pour autant le juger, car il avait toujours le désir de nous élever.
J’ai eu le bonheur d’échanger avec lui à Reims, lors de sa venue à l’école de commerce pour une conférence et, plus encore, de retrouver pour lui et avec lui les chants de chabbat de sa jeunesse en yéchiva que Emeric Deutsch m’avait transmis. Et je l’ai vu s’ouvrir comme un livre et raconter, avec toujours un mot particulier pour chacun, anciens comme plus jeunes, et même les enfants, qu’il aimait tout particulièrement rencontrer dans les maisons de l’OSE (Œuvre de Secours aux Enfants) qui l’avait accueilli après-guerre et à laquelle il est resté fidèle bien que vivant aux Etats-Unis, en acceptant notamment de donner son nom à la maison de Taverny.
C’est là, en cette maison, qu’avec la direction et ses camarades de l’OSE, nous avons voulu lui rendre mardi dernier le seul hommage qui lui convienne, celui de l’étude. Dire ce que nous lui devons, c’est le rendre toujours présent à nos questions, à nos doutes et à nos espérances. Mais lorsque nous avons chanté, à faible voix et juste avec les anciens qui avaient partagé sa remontée à la vie, le niggun, la mélopée si prenante des mariages hassidiques qui nous venait de son monde d’hier, nous savions qu’Elie Wiesel continuerait de nous murmurer au cœur et à l’âme sa sagesse et sa force.
Elie Wiesel était certes écrivain, mais il a surtout marqué nos vies de par son inlassable action pour défendre les droits de l’homme de par le monde. “Messager de l’humanité” comme l’avait qualifié le comité Nobel qui lui remit le si prestigieux et mérité Prix Nobel de la Paix en 1986, nommé Messager pour la Paix par l’ONU en 1998, il fut un grand militant de la paix et un défenseur hors du commun des valeurs humanistes universelles.
Si sa mémoire et ses engagements ont été unanimement salués, nous pouvons garder en nous le souvenir d’un homme simple, émouvant et au grand cœur, ainsi que des formules, dont lui seul avait le secret. Celle que je conserve pieusement est: “Le contraire de l’amour n’est pas la haine, mais l’indifférence”, que je cite très souvent, tant elle résonne dans mon esprit, tant elle m’inspire et m’oblige au quotidien.
Son histoire nous a bouleversés, son courage et sa simplicité aujourd’hui nous obligent, car nous sommes tous un peu ses enfants. “Celui qui écoute les témoins devient témoin à son tour” a écrit et répété Elie Wiesel. Il nous faut poursuivre inlassablement et aussi humblement que lui son œuvre et raconter toujours et encore la Shoah, car nous tous qui l’avons écouté, admiré et estimé, sommes dorénavant, collectivement, ses témoins.
Puissions- nous être dignes de son témoignage, Puissions-nous prendre le relais et transmettre à notre tour, Puisse la mémoire du Mensch Elie Wiesel être bénie.