1 Quelques chiffres significatifs
76 000 Juifs sont partis de France en 83 convois d’environ un millier de personnes chacun. Le 84e est parti de Belgique, le 15 septembre 1942 avec des Juifs du nord de la France.
Deux convois,le 50e et le 51e, constitués en represailles contre des officiers allemands, et dont la majorité des déportés venaient de Gurs, sont détournés pour des raisons inconnues à Maïdanek(Pologne). Les deux suivants, le 52e et le 53e de mars 1943 vont à Sobibor (camps d’extermination en Pologne). Quant au 73e convoi, du 15 mai 1944, une partie est dirigée à Kaunas (Lituanie), l’autre à Revel( Estonie).
Le 79e convoi est le dernier à quitter Drancy vers Buchenwald le 17 août 1944, au moment de la libération de Chartes et une semaine avant la libération de Paris.
2 Spécificité des premiers convois
La première déportation, du 27 mars 1942revêt un caractère politique : il s’agit de renforcer l’autorité allemande en zone occupée, suite aux attentats commis par des résistants français contre des militaires, en décembre 1941. L’opération est d’ailleurs dirigée par le Commandement militaire allemand (MBF) et non par le service de la Sipo-SD.
– le premier convoi est composé exclusivement d’hommes, Juifs étrangers arrêtés à Paris lors de la rafle du 20 août 1941,ou envoyés de Drancy à Compiègne pendant l’hiver 1941-1942, Juifs français, arrêtés à leur domicile le 12 décembre 1941, et détenus à Compiègne.
– C’est le seul convoi de déportation constitué de wagons de voyageurs 3e classe.
– Ces hommes vont rejoindre les premiers prisonniers polonais et russes pour participer à la construction des baraques de Birkenau.
S’il n’est pas encore question de gazage systématique qui n’interviendra qu’à partir du 7e convoi, avec le premier contingent de la rafle du Vel d’hiv, la mortalité est effrayante : 1008 décès d’avril à août, soit 91,6% en 5 mois de détention.
Le 2e convoi, parti également de Compiègne comprend pour moitié des Juifs arrêtés lors des rafles d’aôut 1941 et un groupe sorti des camps du Loiret.
Les convois spécifiques du « billet vert » partent du Loiret, le 4e et le 6e de Pithiviers, et le 5e de Beaune-la-Rolande. Pour chacun d’entre eux l’embarquement se fait la veille entre 19 et 21h, ce qui veut dire que les déportés dorment dans le train, y compris les femmes et les enfants, arrêtés dans les régions avoisinantes pour compléter les convois.
2 le camps de Birkenau
Il est le lieu de destination principal des 76 000 déportés de France. Mais le trajet de la plupart d’entre eux est difficilement représentable, eu égard à la topographie des lieux. Les 3/4 d’entre eux n’ont jamais été immatriculé et n’ont jamais pénétré dans aucun des deux camps, ni Auschwitz, ni Birkenau. La « judenramp » c’est-à-dire leur lieu d’arrivée en 1942 et 1943 n’est pas répertoriée dans le circuit habituel des visites. L’entrée principale la plus connue est celle contruite en 1944 pour l’arrivée des Hongrois. De plus, les principales chambres à gaz et crématoires n’existent plus. Les installations ont été dynamitées par les nazis, avant l’arrivée des Soviétiques, au moment des grandes évacuations dites « marches de la mort » en janvier 1945. L’effacement des traces, prélude au négationnisme est concomitant du génocide.
3 Une étude fine des convois partis de France, avec ses rythmes et ses logiques permet de rendre compte de la complexité des lieux, des destins, des différences de nature entre des déportés résistants et « raciaux » et d’aborder l’histoire spécifique de la France.
– Au sujet des lieux : Ce que l’on appelle improprement Auschwitz est un complexe de plusieurs camps qui n’ont pas les mêmes fonctions suivant les époques et le type de déportés.
Auschwitz I est le mieux conservé et celui que l’on visite le plus. Suivant la terminologie de Raul Hilberg, c’est à la fois un camp de la mort lente (camp de concentration) et un centre de mise à mort (camp d’extermination).
Auschwitz II-Birkenau, à deux kilomètres du premier, est uniquement un camp d’extermination réservé aux Juifs et aux tziganes. Mais d’autres déportés ont pu y séjourner.
Auschwitz III-Monovitz est un camp de travail satellite, comme la Buna, où se trouvait Primo Levi, et comme bien d’autres situés dans un rayon d’une dizaine de kilomètres du premier.
– 4100 résistants (sur 86 000) sont déportés dans trois convois particuliers vers Auschwitz-Birkenau (non répertoriés dans le Mémorial de Serge Klarsfeld).
Le convoi dit des « 45 000 » (chiffres correspondant aux numéros matricules) du 6 juillet 1942 ne comprend que des hommes en majorité communistes, otages en représailles des attentats et les 50 derniers Juifs du camp de Compiegne. Les 1170 enregistrés,sont scindés en deux groupes : 50% vont au camp d’Auschwitz I, 50% à Birkenau.
Le convoi dit des « 31 000 » du 24 janvier, constitué de 230 femmes (dont Charlotte Delbot), est le seul à être dirigé au camp de Birkenau.
Enfin, le convoi dit « des tatoués » du 27 avril 1944, est constitué de résistants non juifs qui passent 15 jours à Birkenau et qui sont ensuite transférés à Buchenwald. (le tatouage du matricule n’est pratiqué qu’à Auschwitz)
4 l’année 1942 au cœur du génocide
la simultanéité des datespermet de comprendre la rapidité du phénomène: 16 et 17 juillet rafle du Vel d’Hiv à Paris, 17 et 18 juillet inspection d’Himmler à Birkenau, 22 juillet grande action de déportation dans le ghetto de Varsovie.
– Le gazage devient systématique à partir de la fin du mois d’août 1942 au rythme d’un convoi tous les deux jours.
– A partir du 20e convoi de France, commencent les transferts des camps d’internement de la zone sud (arrestations des Juifs étrangers dues aux accords Oberg-Bousquet)
– A partir du 24e convoi, de la fin du mois d’août jusqu’à la fin de l’année, on remarque une double sélection, l’une à Kosel où sont enregistrés les hommes valides qui travaillent dans des camps satellites comme Bléchamer (Auschwitz III) , l’autre à Auschwitz-Birkenau.
– L’interruption des convois entre novembre 1942 et février 1943 est due au tarissement et à la mauvaise volonté du gouvernement français qui ne coopère plus comme au début (le vent a tourné après Stalingrad).
– Mais en 1943, on assiste à des rafles de vieillards de l’hospice Rothschild (49e convoi), et d’apatrides par la police française suite à l’attentat du 13 février contre 2 officiers allemands,(50e et 51e convois du 4 et 6 mars 1943). En 1944, le rythme est de deux convois par mois.
5 Les nationalités
L’essentiel des Juifs étrangers viennent d’Europe de l’est, et sont surtout polonais. Il existe des convois spécifiques par nationalité (33e convoi du 16 septembre pour les Juifs lituaniens, lettons et bulgares, 37e et 38e convois de Juifs roumains, 44e et 45e convois des 9 et 11 novembre 1942, pour les Juifs grecs).
Mais on observe la présence de Juifs français (un quart du total) dans tous les convois. Le 39e du 30 septembre 1942 est un petit convoi ne comportant que 211 Juifs, avec beaucoup de Français, certains âgés dont le sénateur et avocat Pierre Masse. Ce transport, dit le télex, « était absolument nécessaire pour des raisons politiques et de prestige, car plusieurs services français ont essayé d’éviter sa mise en marche.» On trouve aussi beaucoup de Français après « l’action Tiger » du 22, 23, 24 janvier 1943 à Marseille dans le 52e convoi.
7 Les enfants
Un gros contingent à la fin du mois d’août est mêlé aux adultes (20 au 24e convois). Il s’agit des 4000 enfants de la rafle du Vel d’Hiv, séparés de leurs parents dans les camps du Loiret, dont certains n’ont pas deux ans. On compte aussi des enfants en familles dans tous les convois. Enfin, un dernier groupe important, en juillet 1944, s’explique par les arrestations dans les maisons de l’UGIF de la région parisienne.
La statistique parle d’elle même : pour la seule année 1942, 1032 enfants ont moins de 6 ans, 2537 ont entre 6 et 12 ans, 2464 entre 13 à 17, 2491 enfants sont d’âge indéterminé.
8 Les évasions
On enregistre peu d’évasions à cause des conditions effroyables à l’intérieur des wagons : 62e convoi, 19 évasions dont ceux du tunnel de Drancy, 65e convoi du 17 décembre 1943, 4 évasions, enfin 15 évasions dans le dernier convoi du 17 août 1944. Mais proportionnellement, il n’y a pas plus d’évasions dans les convois de résistants (si on exclut les 45 évasions d’un convoi de Compiègne du 4 juin 1944 et les 54 évadés du « train fantôme » du 4 juillet 1944).
9 Drancy (gare de Bobigny)
L’immense majorité des convois partent de la gare de Bobigny, à l’exception des premiers,(jusqu’au 6e)qui partent de Compiègne et des camps du Loiret. Le 8e du 20 juillet 1942 part d’Angers et les derniers de la province : le 78e de Lyon, le 81e de Toulouse vers Buchenwald et le 82e de Clermont-Ferrant.
10 Spécificité des derniers convois.
Le 79e du 17 août 1944 est un convoi spécial d’Aloïs Brunner : trois wagons pour lui, un pour la Gestapo, un pour 51 déportés Juifs résistants et des personnalités comme Marcel Bloch (Dassault). Le 80e est un convoi de femmes de prisonniers qui va à Bergen-Belsen, le 81 part de Toulouse et le 84 de Belgique.