L’histoire d’Elie Wiesel avec l’OSE, par Katy Hazan, historienne

Elie Wiesel et l’OSE

Wiesel

Télécharger le texte de Katy Hazan sur les années qu’Elie Wiesel a passées à l’OSE

En 1945, il reste dans le camp de Buchenwald libéré par les Américains, plus d’un millier de jeunes Juifs entre huit et vingt-deux ans. Issus des villages les plus reculés de Pologne, de Roumanie, de Hongrie ou de Tchécoslovaquie, ils attendent que l’on statue sur leur sort. 535 arrivent en France, dont 426 pris en charge par l’OSE (Œuvre de Secours aux Enfants, une œuvre juive d’assistance qui avait mis en place pendant la guerre un réseau spécifique de sauvetage d’enfants). Avant d’être regroupés à Buchenwald, ils ont subi les ghettos, les camps de travail forcé, les sélections, les marches de la mort.

Elie Wiesel (Leiser)  est de ceux là. Il est né à Sighet, un petit village des Carpathes qui, à l’époque, faisait partie de la Hongrie (actuellement en Roumanie). Dans La Nuit, il raconte qu’il était profondément croyant, attiré par la mystique juive et la kabbale, que son père avait une place de notable dans la communauté. Tous les Juifs de Sighet ont été déportés à Birkenau en mai 1944. Elie a survécu avec son père jusqu’à Buchenwald. Puis il reste seul. Il a 16 ans. Lorsqu’arrivent les américains, le 11 avril 1945,  ils ne peuvent que réciter la prière des morts. Certes, il y a un sentiment de libération, mais aucune joie. Après deux mois d’attente et de désoeuvrement, Elie se retrouve en France en quarantaine médicale, avec le groupe des « enfant de Buchenwald ».

 

Ecouis, un préventorium dans l’Eure

Vue aérienne du préventorium d’Ecouis, 1945
Vue aérienne du préventorium d’Ecouis, 1945

Ecouis fut un choc, pour tous : pour les jeunes, qui n’acceptent pas de se retrouver dans un camp, en quarantaine. Pour les adultes aussi, qui ne comprennent rien. Les problèmes qui surgissent sont nombreux et de nature très diverse. Les garçons y restent de quatre à huit semaines selon les cas. La détresse de ces jeunes est à la mesure de l’expérience vécue et les problèmes auxquels ils sont confrontés à la mesure de l’incompréhension de leur situation. Il faut se représenter les difficultés rencontrées pour mettre sur pied, dans les conditions de dénuement de l’après-guerre, un centre d’accueil correctement équipé pour 472 personnes, ainsi qu’une organisation susceptible d’assurer un vrai contrôle médical. Conçu comme transitoire, le centre ferme ses portes en août 1945.

 

Pour Elie Wiesel c’est incontestablement le premier stade de la réadaptation, qui se manifeste symboliquement d’ailleurs par l’écriture, puisqu’il demande du papier et un crayon et qu’il commence un journal intime. Réadaptation à quoi ?  « Comment avez-vous fait pour vous réadapter à la vie ? La question est très mal posée, il faudrait plutôt demander : Comment avons-nous réussi à réapprendre à respecter les morts, tout en rejetant la mort ?  En vérité, ce n’était pas si difficile que ça, moins difficile en tout cas que de nous réadapter à la mort. Parce que nous avons dormi avec les morts, côtoyé la mort pendant toute une vie, pendant toute une série de vies, il nous fallait faire un effort intellectuel et affectif pour voir en elle un arrachement, un malheur, un scandale. Durant notre emprisonnement, c’était un événement banal, attendu, une présence quotidienne, une routine. La norme et non l’exception. Après tout, nous étions là non pour vivre, mais pour mourir. Quand on butait sur un cadavre, on continuait son chemin sans même lui accorder un regard. Comme si l’on venait de déplacer une branche desséchée.

Il nous a fallu nous recycler mentalement, nous refaire un système de valeurs, pour comprendre cette loi talmudique empreinte d’un humanisme bouleversant : si le grand prêtre aperçoit un cadavre anonyme, il doit tout laisser et l’enterrer immédiatement, même s’il est en route pour le Temple. Respecter la dignité d’un mort a priorité, même sur l’office du jour le plus sacré de l’année.

Un cadavre anonyme ? Dans le camp, nous étions tous des cadavres anonymes en puissance, des cadavres ambulants. Même lorsqu’un ami ou un parent s’éteignait, on ne pleurait pas, on ne portait pas le deuil, on ne déchirait pas ses vêtements, on ne mettait pas de la cendre sur son front, on n’affichait pas son chagrin, on ne se sentait pas amoindri. On ne faisait rien, on ne pouvait rien faire pour marquer l’évènement. » * Voilà une leçon de plus : la nature humaine est ainsi faite qu’on s’habitue plus aisément à la détresse qu’au bonheur.

 

Le jeune homme éprouve le besoin de se taire sur son histoire, mais retrouve la foi, même si c’est une foi blessée. Les éducateurs mêmes les plus chevronnés n’étaient pas préparés, d’ailleurs ils attendaient de jeunes enfants, dont la présence au camp était attestée par un journaliste de l’AFP, Christian Ozanne, qui lui-même revenait de Buchenwald et qui parle de plusieurs centaines d’enfants de 3 à 17 ans.

« Pauvres moniteurs et monitrices. Croient-ils pouvoir nous éduquer, nous qui avons regardé la mort en face ? Nous en savons plus qu’eux et plus que leurs Maîtres sur les mystères de l’existence et de la création, sur la fragilité de la connaissance et la fin de la Création, sur la fragilité de la connaissance et la fin de l’Histoire. Le plus jeune d’entre nous possède une somme d’expériences plus vaste que le plus âgé parmi eux. Comment peuvent-ils comprendre notre besoin de garder quelques restes de gâteau sous nos oreillers ? Et la méfiance que nous inspire n’importe quel inconnu ? La parole qui revient le plus fréquemment sur nos lèvres ? « Vous ne pouvez pas comprendre ».

 

 

Et pourtant à Ecouis, le jeune Elie Wiesel fait de belles rencontres féminines, Gaby Cohen dite Niny, et Rachel Minc, qui parlait le yiddish et qui était devenue leur confidente.

« Une jeune femme brune d’origine alsacienne, fine, gracieuse, au sourire envoûtant, fait partie de l’équipe des moniteurs ; elle s’appelle Niny. Elle comprend notre yiddish et essaie même de le parler. Combien de garçons la voient dans leurs rêves ? Par son éducation, elle se sent proche de notre groupe religieux qui l’adopte aussitôt. Une autre, Rachel Minc, un peu plus âgée, porte sur son visage une tristesse émouvante : l’OSE l’a engagée parce qu’elle est poétesse. Le soir, elle nous déclame des vers et des contes d’Itzhak-Leibush Peretz. C’est elle qui, dans les années cinquante, me fera découvrir Nikos Kazantzakis et le secret qui les liait l’un à l’autre. »

 

Ecouis, c’est aussi pour Elie Wiesel le moment où lui, qui se croyait seul au monde, retrouve ses deux sœurs, intense moment d’émotion et de reconstruction intérieure. Les plus religieux des garçons partent ensuite à Ambloy.

 

 

Ambloy et Taverny l’expérience des plus religieux

 

Photo de groupe à Ambloy, maison d’enfants de l’OSE d’observance religieuse stricte, 1946
Photo de groupe à Ambloy, maison d’enfants de l’OSE d’observance religieuse stricte, 1946

Ils sont quatre-vingt-un, en majorité orthodoxes, ainsi que les plus jeunes, à Ambloy, dans un superbe château de 40 chambres prêté pour l’été, puis au château de Vaucelles, à Taverny.

 

Tous ont un souvenir ému de cette période “ pont indispensable entre les camps et la vie nouvelle. ” Élie Wiesel qui faisait partie de ce groupe rend, dans ses mémoires, un vibrant hommage à ses monitrices de l’époque, Judith et Niny.

« Comment as-tu fait, Judith, comment avez-vous fait pour nous apprivoiser ? Niny, cette jeune éducatrice si belle et si dévouée, comment a-t-elle fait pour tenir tant de semaines parmi nous, avec nous ? (…) Rationnellement, Judith, nous étions condamnés à vivre cloîtrés, comme de l’autre côté de la muraille. Et pourtant, en peu de temps, nous réussîmes à nous retrouver du même côté. Ce miracle-là, à qui le devons-nous ? Comment l’expliquer ? À quoi l’attribuer ? À nos affinités religieuses ? Aux vôtres ? Le fait est que tous ces enfants auraient pu basculer dans la violence ou opter pour le nihilisme : vous avez su les diriger vers la confiance et la réconciliation. »

 

Ce fut un moment privilégié, de juillet à octobre 1945, dans un endroit de rêve, loin du monde, où ces jeunes ont pu commencer à se réparer. « Niny ne le sait pas, mais Kalman et moi composons à sa gloire des poèmes enflammés et médiocres en yiddish. Innocents ? Oui. Platoniques ? Oui encore. Et pourtant, l’attirance que nous avons ressentie pour elle me paraît aujourd’hui bien compréhensible : vivant entre garçons, comment n’aurions-nous pas été subjugués par la présence de Niny, si féminine, si affectueuse ? Dès que je l’apercevais, mon cœur se mettait à battre violemment. »

 

La grande activité d’Ambloy reste pour tous, les séances chez le photographe de Vendôme. Les jeunes y vont au moins une fois par semaine et tous y laissent leurs économies. Ils se font photographier seul, en groupe, à deux, avec leurs plus beaux atours, ou avec leurs pyjamas rayés, avec ou sans cravates, avec ou sans chapeau, comme s’il fallait fixer dans la réalité, ou se prouver à eux-mêmes, qu’ils existaient encore.

 

Ce n’est pas le cas d’Elie Wiesel, lui se lance à corps perdu dans l’étude. Le groupe des Hongrois, très religieux, bouillonne d’activités : cercles d’études, lieux de prières improvisés et cours de kodesh (matières religieuses) se font et se défont au gré du rituel journalier. Certains suivent des cours d’anglais, dans l’espoir de partir en Palestine, d’autres des cours de français. Tous font du sport avec un moniteur de l’OSE, Maurice Brauch. Elie Wiesel dit que ces années de retour à la vie et de formation, il les doit à l’OSE, premier regard sur la liberté, la mémoire et surtout les jeunes filles.

 

La fête de Kippour, la première célébrée depuis leur libération, donne lieu à un débordement de ferveur et d’émotion. « C’est à Ambloy que nous célébrons les premières grande Fêtes depuis la libération. Pour le service de Yizkor, consacré à la mémoire des disparus, les écluses s’ouvrent enfin. Toute l’assemblée pleure. Larmes de soumission à Dieu, larmes de contrition, de remords et d’incompréhension, larmes de désespoir. Le dernier office auquel nous avions assisté, c’était où et quand ? Avec mon grand-père, chez le Rabbi de Borshe à Sighet. Avec mon père, sur la place d’appel à Buna. Tout cela est désormais si loin : le temps ne se mesure plus en années, pas même en années-lumière. C’était ailleurs, dans un autre univers et une autre histoire. »

 

Ce fut même l’occasion de débattre de l’opportunité ou de l’interdiction de dire le kaddish (la prière des morts) pour leurs parents. En vivant leur vie juive d’autrefois, avec toute la ferveur qu’ils avaient réussie à garder en eux, dans le souvenir de leurs parents et de leurs années d’enfance, tous ont pu entrer à nouveau dans la vie.

 

Puis tout le groupe part à Taverny, au château de Vaucelles, d’octobre 1945 à septembre 1947.

Château de Taverny
Château de Taverny

La vie de groupe dans un cadre ouvert, sans autorité excessive, a permis de stabiliser affectivement ces adolescents et de les réadapter progressivement à la réalité. En effet, la vie dans cette maison a été ressentie comme une entité sécurisante, où des relations quasi-fraternelles ont pu se tisser et assurer le transfert de tous les affects. La qualité de l’encadrement, l’attitude tolérante des deux éducatrices qui ont fait l’effort d’apprendre le yiddish et d’appeler les adolescents par leurs prénoms, expliquent aussi la réussite de Taverny. Ces adolescents avaient la possibilité d’être ce qu’ils étaient. Enfin, la vie religieuse a fait le reste, en particulier le contact avec les jeunes du mouvement religieux Yeshouroun venus organiser un camp d’été.

À Taverny, certains ont pu rattraper des étapes sautées dans la construction de leur personnalité. Eux qui n’avaient eu ni enfance ni adolescence pouvaient enfin, dans ce cadre protégé, régresser ou simplement connaître l’insouciance. Pour Elie Wiesel, Taverny est le temps de la recherche et le mérite de l’OSE est de lui avoir laissé le temps de se chercher. « L’OSE s’arrange en 1947 pour que François Wahl me donne des cours particuliers. Grand, élancé, les traits fins, un peu désœuvré, la tête toujours inclinée, il jouera un rôle dans ma vie. Excellent professeur, intuitif autant qu’érudit, doté d’une imagination effervescente, il m’initie à ce que les enseignants français aiment le plus : l’explication de texte. » On tient là une des clefs du pourquoi il a utilisé le français pour ses premiers écrits, en dehors de la Nuit écrite en yiddish. Le français est la langue de sa renaissance.

 

 

Il y a une autre rencontre qui structure sa pensée et qui fait le pendant à François Wahl, , c’est Shoushani, maître talmudique, mystérieux personnage, totalement insaisissable, qui fut le maître d’Emmanuel Lévinas. « C’est en 1947 que Shoushani réapparaît dans ma vie. Pendant deux ou trois ans, il m’enseignera sans relâche la perplexité et l’angoisse, et je crois n’avoir jamais oublié ses leçons. À ses côtés, j’appris beaucoup sur les limites du langage et de la raison, sur les emportements du sage, du fou aussi, sur le cheminement obscur et persistant d’une pensée à travers les siècles et les cultures, mais rien sur le secret qui l’entourait. »

 

 

Versailles

 

La dernière étape oséenne d’Elie Wiesel c’est la maison d’enfants de Versailles. Cette maison au nom symbolique de « Chez nous » est la 25ème  maison ouverte par l’OSE pour les enfants de la guerre. Ouverte en janvier 1946, elle est inaugurée le 1er mai et reste ouverte jusqu’en 1962, grâce à une communauté juive très dynamique.

 

Le 63, avenue de Paris a une histoire prestigieuse. Il s’agit du pavillon de Provence, où naquit le futur Louis XVIII. Il subsistait deux pièces d’époque magnifiques au premier étage, dite chambre de l’hôtel d’Auteuil, avec des panneaux de bois sculptés et d’immenses glaces comme celles du château de Versailles. C’est une maison mixte pour une cinquantaine de jeunes adolescents de 14 à 18 ans de stricte observance. Elle fut ouverte par Madame Feist et Gaby Cohen (Niny) avec un groupe de jeunes déportés de Buchenwald, destinés à reprendre leur scolarité, et que l’OSE voulait mélanger à d’autres enfants, venus essentiellement de l’Hirondelle, à La Mulatière, ou d’autres maisons de la région parisienne.

 

Puis, la maison sera dirigée par Felix et Marguerite Golsdmidt, qu’Elie Wiesel appréciait beaucoup. D’ailleurs, il passait à Versailles une partie de son temps libre. « L’OSE m’offre alors la possibilité d’occuper un petit studio au Quartier latin. Un camarade d’Ecouis, plus âgé que moi et qui est inscrit en Sorbonne, s’évertue à m’initier aux choses de la vie, comme on dit : il me présente à une soubrette, qui veut bien se charger de mon apprentissage. Après quelques jours, je déclare forfait. Je reviens à Versailles. ‘Chez nous’, c’est chez moi. »

 

L’ambiance religieuse de la maison convient tout à fait au jeune homme. À Versailles, on observe le shabbat et les fêtes. On chante le Birkat Hamazon après les repas. On va à l’office matin et soir. Le vendredi soir est une fête renouvelée chaque semaine. Le temps s’arrête, la maison, ouverte à bon nombre d’invités étrangers, s’apprête à accueillir le shabbat avec des chants à table et en dehors. Elie Wiesel jouait du violon, mais surtout entonnait de sa belle voix de contre-altiste, les chants du shabbat en yiddish ou en araméen. Deux bouts de phrases du Zohar, apprises à Sighet, sa ville natale bouleversaient tout le monde, y compris les religieuses d’à côté qui ouvraient leur fenêtre pour l’écouter. L’étude de la parasha, le samedi, était introduite par Félix Goldschmidt. De temps à autre Shouchani, le maître de Lévinas, puis d’Elie Wiesel, venait étudier à Versailles. Il pouvait parler des heures entières, d’autant que, disait-il, à chaque difficulté correspondaient 13 explications.

L’oneg shabbat, le samedi après midi à partir de 17h, était aussi minutieusement préparé. On racontait des histoires liées à la parasha de la semaine, ou on lisait le commentaire de l’éditorial d’André Mauriac pour se tenir au courant de l’actualité. Le soir, on dansait la hora dans la cour, mais les garçons étaient bien plus timides que les filles.

 

Elie Wiesel a monté une chorale très prisée à Versailles, à laquelle il consacre de longues pages, où perce tendresse et fierté. Israël Adler, shalia’h, (émissaire de l’agence juive) – qui dirigea, un temps, le département de musique de la Bibliothèque nationale et qui devint par la suite un musicologue mondialement connu – l’accompagnait au piano. Le jeune Elie Wiesel ne sait trop quoi faire de sa vie, ni quelle orientation prendre. Il est tenté, comme certains de ses camarades et des enfants de l’OSE de Versailles, de partir en Palestine. Car il avait juré que s’il s’en sortait, il ne resterait pas en Europe, terre maudite, gorgée de sang. De longues conversations ont lieu entre copains. « Quant à moi, je reste indécis. Essayer de m’inscrire au Conservatoire ou à la faculté des Lettres ? La Terre sainte m’attire, mais je ne me sens pas encore prêt. Jai dix-huit ans et je vis en suspens. Que faire de ma vie, et où le faire ? Je travaille avec François, avec Shoushani, je lis tout ce qui me tombe entre les mains. C’est bête mais, avant de découvrir Malraux, Camus et Mauriac, je lis La Critique de la raison pure (ne riez pas) en yiddish. Le Capital aussi. Et Hegel. Et Spinoza. La philosophie m’accapare, me dévore. »

 

Le mérite de l’OSE est d’avoir su laisser du temps au jeune homme et de l’avoir encouragé à faire des études. Ce qu’elle n’a pas toujours fait pour les autres. C’est là qu’entre en scène Bô Cohn, le directeur pédagogique de l’OSE qui le guide et le conseille. Il l’encourage à faire des études, avoir un diplôme sert toujours. La Terre Sainte peut attendre. Pour lui permettre de voir venir, l’OSE lui propose d’animer une colonie de vacances religieuse à Montintin, dans le Limousin.  Elie y donne des cours de bible et organise des débats sur la situation en Palestine.

 

C’est encore Bô Cohn qui l’encourage à quitter Versailles et qui lui trouve une chambre, pas loin de son propre domicile, porte de Saint-Cloud. Ils sont trois à être dans la même situation et à bénéficier de la sollicitude bienveillante de Bô et de sa femme Margot. Il sait qu’il peut compter sur eux. C’est encore cela le mérite de l’OSE : avoir su trouver pour ces jeunes irrémédiablement atteints, des adultes qui purent jouer le rôle de substituts parentals, soit des béquilles assez solides, soit des exemples à suivre. Sans parler des figures féminines qui furent très importantes pour le jeune homme.

 

En 1947, Elie Wiesel choisit enfin, il s’inscrit en fac de lettres à la Sorbonne, il a 18 ans. Un an après, il part à Tel Aviv avec une carte de correspondant étranger, pour le compte du journal yiddish de l’Irgoun, Zion in Kampf, la lutte de Sion. C’est ainsi qu’il entame sa carrière de journaliste. Le cordon ombilical avec l’OSE est coupé.

 Elie Wiesel, 1946
Elie Wiesel, 1946

*Toutes les citations sont extraites de l’ouvrage autobiographique d’Elie Wiesel, Tous les fleuves vont à la mer… et la mer n’est pas remplie, éditions Seuil, 1994.